De l'importance de l'évaluation des politiques publiques
Dans l'arène démocratique, il arrive souvent qu'un décideur politique se félicite de ses propres décisions, ou qu'un opposant les dénigre. Les arguments et les contre-arguments fusent, les chiffres aussi. Il en devient parfois difficile de se forger sa propre opinion, et de déterminer si la décision était finalement bonne ou mauvaise. Heureusement, il existe des outils pour évaluer l'action publique, qu'il s'agisse de réduire la TVA, de réviser les programmes scolaires ou encore de promouvoir les voitures électriques. Mais qu'est-ce que l'évaluation de l'action publique ?
Des outils et des méthodes au service du débat public
La Société française d'évaluation la définit comme un « processus cognitif socialement régulé visant à produire un jugement fondé et légitime sur la pertinence, les conditions de mise en œuvre et la réussite d’une action publique ». Concrètement, l'évaluation consiste à porter un jugement de valeur sur une action publique, et à étayer ce jugement à partir de preuves. Prenons l'exemple de la TVA, et imaginons qu'un ministre l'abaisse de 5 % dans le secteur de la restauration (disons que la crise sanitaire est passée!). Quelques mois plus tard, on observe une hausse du chiffre d'affaires des restaurateurs de 3 %, soit exactement l'objectif qu'avait fixé le gouvernement. Faut-il crier victoire pour autant ? À première vue, l'action politique est efficace, car l'objectif est atteint. Mais rien ne garantit a priori que l'augmentation du chiffre d'affaires des restaurateurs soit totalement imputable à la baisse de la TVA. Il se pourrait en effet qu'une autre mesure gouvernementale, agissant par exemple sur le coût des importations, ait aussi favorisé l'activité des restaurateurs. Il se pourrait aussi qu'un facteur totalement exogène, comme une météo exceptionnellement bonne, ait joué aussi. Ainsi l'impact de la baisse de la TVA pourrait en réalité être inférieur (ou supérieur) à 3 %. Qui plus est, la mesure gouvernementale pourrait être plus ou moins acceptable selon les publics interrogés. Elle pourrait être peu pertinente au regard d'enjeux environnementaux, ou peu cohérente avec d'autres objectifs socio-économiques.
L'efficacité, l'impact, l'acceptabilité, la pertinence ou encore la cohérence d'une action publique, sont autant de critères d'évaluation. Et pour les apprécier, diverses méthodes issues des sciences économiques et sociales sont à notre disposition. On peut réaliser des expérimentations, en comparant un groupe de traitement avec un groupe de contrôle, et établir des statistiques de suivi. On peut aussi réaliser des entretiens, mener des enquêtes, ou observer le terrain. On peut également impliquer les parties prenantes dans la conception et la révision de l'action publique. Ces méthodes ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients, et elles appellent toutes à un examen attentif des potentiels biais d'interprétation.
Rendre les évaluations plus utiles aux décideurs
L'évaluation de l'action publique se développe fortement dans la plupart des pays développés. En France, des centaines d'évaluation ont d'ores et déjà été réalisées par des institutions publiques, des cabinets privés ou des centres de recherche. En s'appliquant de façon ex ante (avant la mise en œuvre de l'action), de façon in itinere (pendant) ou de façon ex post (après), l'évaluation a vocation à accompagner l'émergence et l'innovation de l'action publique. Mais des défis subsistent. Comme le rappelle un récent rapport du Conseil d'État (2020), les délais pour réaliser une évaluation rigoureuse peuvent tomber en décalage avec l'urgence de l'action politique. La complexité des approches scientifiques et l'indisponibilité des données peuvent aussi compliquer l'utilisation des évaluations par les décideurs et par la société civile.
À cet égard, et comme le montre une étude internationale de France Stratégie (2019), de bonnes pratiques existent et gagneraient à être diffusées. Ces bonnes pratiques visent essentiellement à : (a) mieux articuler la demande et la production d'évaluation d'impact ; (b) à définir un cadre commun garantissant l'indépendance, la crédibilité et la transparence des évaluations ; (c) à rendre les travaux d'évaluations plus facilement mobilisables. Donnons trois exemples. Au Royaume-Uni, à travers les Areas of Research Interest (ARI), les ministères sont encouragés à indiquer aux chercheurs les sujets pour lesquels leurs attentes sont les plus fortes, ce qui permet aux chercheurs de mieux y répondre. Au Canada, il existe une certification - le « Credentialed Evaluator designation » - qui est accordée par la Société canadienne d’évaluation à tout évaluateur répondant à un certain nombre de principes déontologiques et de compétences professionnelles, ce qui permet de créer un réseau de confiance entre les commanditaires et les producteurs d'évaluations. Nous pourrions aussi citer les What Works Centres au Royaume-Uni et les Clearinghouses aux États-Unis. Ces plateformes classent les politiques par thématique (jeunesse, santé, etc.) et en fonction de leur succès, et inventorient sous un format intelligible toutes les évaluations correspondantes, ce qui facilite leur appropriation par les décideurs.
Un enjeu démocratique
Renforcer l'évaluation de l'action publique, et l'utilisation de ses résultats, est doublement essentiel. Cela permet non seulement de prendre des décisions adaptées, mais aussi d'éclairer les citoyens sur les décisions prises par leurs représentants. Définissent-ils des objectifs réalisables ? Prennent-ils en compte les contraintes et les préférences des personnes concernées ? Atteignent-ils les objectifs qu'ils avaient annoncés ? etc. En cela, l'évaluation est une démarche résolument scientifique et démocratique à la fois.
Par Adam Baïz, responsable de l'évaluation des politiques publiques à France Stratégie et formateur à l'ENA.