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Patrick Gérard : "Non, les élèves de l’ENA ne sont ni cooptés, ni coupés des réalités, ni détestés à l’étranger !"

Tribune du directeur de l'ENA publiée dans Le Figaro du 24 avril 2019

TRI­BUNE - Le di­rec­teur de l’École na­tio­nale d’ad­mi­nis­tra­tion, Patrick Gérard* dont la sup­pres­sion a été évo­quée par le pré­sident de la Ré­pu­blique, ré­pond aux cri­tiques adres­sées à son éta­blis­se­ment. Il dé­fend une école qu’il juge fon­dée sur le mé­rite et la va­leur pro­fes­sion­nelle.

Je n’ai pas à par­ti­ci­per au débat ac­tuel sur l’ave­nir de l’ENA, qui sera tran­ché par le pré­sident de la Ré­pu­blique, mais, comme ce débat donne sou­vent lieu à des af­fir­ma­tions in­exactes, qui choquent voire blessent pro­fon­dé­ment ses élèves et ses per­son­nels, mon de­voir est sim­ple­ment de ré­ta­blir quelques vé­ri­tés.

Non, les élèves de l’ENA ne sont pas mus par le désir de com­pli­quer la vie de leurs conci­toyens. Je sais, pour les cô­toyer tous les jours, qu’ils sont sin­cè­re­ment sou­cieux de s’en­ga­ger pour leur pays, pour l’in­té­rêt gé­né­ral et le bien com­mun. Ils ont envie de contri­buer, sous l’au­to­rité des gou­ver­ne­ments qu’ils au­ront à ser­vir, à ce que la France se porte mieux, soit plus forte dans le monde et que leurs conci­toyens vivent mieux.

Non, les élèves de l’ENA ne sont pas tous « des jeunes de 25 ans ». Leur âge moyen à la sor­tie de l’école est de 31 ans et demi. Avant leur accès à l’ENA, qua­rante élèves, fonc­tion­naires issus du concours in­terne et élèves issus du sec­teur privé ou as­so­cia­tif, ont déjà plu­sieurs an­nées d’ex­pé­rience pro­fes­sion­nelle ; quant aux qua­rante lau­réats du concours ex­terne, ils ont fait des études su­pé­rieures plus longues qu’au­tre­fois.

Non, les élèves de l’ENA n’y sont pas en­trés par fa­vo­ri­tisme. Ils ont tous passé un concours exi­geant. Il suf­fit de re­lire L’Étrange dé­faite de Marc Bloch pour se rap­pe­ler ce qu’était le re­cru­te­ment des corps de hauts fonc­tion­naires avant la créa­tion de l’ENA en 1945 : un sys­tème de co­op­ta­tion fa­vo­ri­sant de façon in­con­tes­tée les fils des cadres di­ri­geants alors en place. L’ac­tuelle pro­mo­tion Mo­lière ne compte aucun en­fant d’énarque, de mi­nistre ou de par­le­men­taire.

Non, les élèves de l’ENA ne sont pas tous des pri­vi­lé­giés. Si l’on peut re­gret­ter que seuls 19 % des élèves ac­tuels aient un pa­rent ou­vrier, com­mer­çant, em­ployé, agri­cul­teur, ar­ti­san ou chô­meur, plus de la moi­tié d’entre eux ont un grand-père ap­par­te­nant à l’une ou l’autre de ces ca­té­go­ries. L’ad­mi­nis­tra­tion reste dans notre pays l’un des mo­teurs de l’as­cen­seur so­cial si l’on veut bien l’ob­ser­ver sur deux gé­né­ra­tions. Et il faut évi­dem­ment en­core mieux faire. Mais aucun com­men­ta­teur ne se donne la peine de com­pa­rer cette réa­lité avec celle d’autres écoles pres­ti­gieuses en France ou à l’étran­ger. Ni de re­le­ver qu’il est moins fa­cile d’as­su­rer au­jour­d’hui une grande di­ver­sité so­ciale avec des pro­mo­tions ré­duites à 80 élèves qu’au­tre­fois avec des pro­mo­tions de 120. Ni d’ex­pli­quer le coût per­son­nel, fa­mi­lial et fi­nan­cier que re­pré­sente pour un fonc­tion­naire le fait de pré­pa­rer l’ENA.

Non, les élèves de l’ENA ne suivent pas un cur­sus de for­ma­tion in­utile. En deuxième année à Stras­bourg, ils tra­vaillent au­jour­d’hui, dans le cadre d’une sco­la­rité pro­fon­dé­ment ré­no­vée grâce à des in­ter­ve­nants et un per­son­nel d’une ex­trême qua­lité, à ac­qué­rir les com­pé­tences né­ces­saires pour exer­cer leur futur mé­tier dans un es­prit de ser­vice des ad­mi­nis­trés. Ils cô­toient des of­fi­ciers de gen­dar­me­rie lau­réats de l’École de guerre, des élèves ad­mi­nis­tra­teurs des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales, des élèves in­gé­nieurs spé­cia­listes du nu­mé­rique et, bien­tôt, de jeunes ta­lents scien­ti­fiques ayant ob­tenu leur doc­to­rat dans des dis­ci­plines à fort enjeu d’ave­nir (cli­mat, al­go­rithmes, in­tel­li­gence ar­ti­fi­cielle).

Non, les élèves de l’ENA ne sont pas cou­pés des réa­li­tés de leur époque. Du­rant leur année de stages, ils sont au contact per­ma­nent des élus lo­caux, des forces de sé­cu­rité, de nom­breux usa­gers et d’en­tre­prises de toute taille. À Stras­bourg, ils donnent tous de leur temps à des as­so­cia­tions œu­vrant en fa­veur de per­sonnes dé­fa­vo­ri­sées. Non, les élèves de l’ENA ne sont pas fer­més sur eux-mêmes. Ils par­tagent leur sco­la­rité avec des élèves in­ter­na­tio­naux qui re­gardent l’ENA comme l’un des grands atouts de la France. En 2019, l’ENA a en­re­gis­tré 1400 can­di­da­tures pour son cycle in­ter­na­tio­nal qui offre 57 places. Avec 3 500 an­ciens élèves étran­gers qui exercent des res­pon­sa­bi­li­tés im­por­tantes dans leur pays, la « marque » ENA rayonne par­tout dans le monde.

Non, les élèves de l’ENA ne se confondent pas avec le pou­voir po­li­tique. Ils sont des­ti­nés à oc­cu­per cer­taines fonc­tions : ad­mi­nis­tra­teurs dans les mi­nis­tères ou à la ville de Paris, sous-pré­fets, di­plo­mates, membres des ju­ri­dic­tions ad­mi­nis­tra­tives et fi­nan­cières, membres de corps d’ins­pec­tion. Seuls par la suite 2,5 % d’entre eux s’en­gagent dif­fé­rem­ment en exer­çant une fonc­tion ou un man­dat po­li­tique. Ils le font non parce qu’ils ont été élèves de l’ENA, mais parce que le suf­frage uni­ver­sel les a choi­sis : c’est le cas au­jour­d’hui de 15 dé­pu­tés sur 577. Quant à la possibilité de revenir dans l’administration après un mandat politique, elle ne concerne pas seulement les énarques mais tous les fonctionnaires. Sa limitation relève non de la compétence de l’ENA mais de celle du législateur. 

Non, l’ENA n’a pas le mo­no­pole de la haute fonc­tion pu­blique. Plus de la moi­tié des membres de celle-ci - qui peuvent être par exemple am­bas­sa­deurs, pré­fets, rec­teurs, in­gé­nieurs des corps des Mines ou des Ponts, ad­mi­nis­tra­teurs de l’In­see, di­rec­teurs d’ad­mi­nis­tra­tion cen­trale, ins­pec­teurs gé­né­raux - ne sont pas d’an­ciens élèves de l’ENA.

Non, l’ENA n’est pas una­ni­me­ment cri­ti­quée. Au contraire, parce que l’image de l’ad­mi­nis­tra­tion fran­çaise est ex­cel­lente en Eu­rope et dans le monde, elle est ap­pe­lée par de nom­breux pays pour tenir à Paris ou à l’étran­ger des sé­mi­naires de dé­on­to­lo­gie, de conduite de pro­jet ou de ma­na­ge­ment pu­blic : sa for­ma­tion conti­nue a été ap­pré­ciée par plus de 10.000 per­sonnes en 2018. De­puis 2005, 8583 mi­nistres et hauts fonc­tion­naires des États membres de l’Union eu­ro­péenne ont de­mandé à suivre des for­ma­tions dis­pen­sées par l’ENA lorsque leur pays était ap­pelé à pré­si­der le Conseil de l’Union. L’École en­tre­tient au­jour­d’hui des re­la­tions pri­vi­lé­giées avec les ad­mi­nis­tra­tions et les écoles de for­ma­tion de hauts fonc­tion­naires de plus de 130 États. Le 11 avril der­nier, elle était in­vi­tée à cé­lé­brer le 70e an­ni­ver­saire de l’ENA de Tu­ni­sie qui pro­clame avec fierté sa de­vise : «En­ga­ge­ment. Neu­tra­lité. Ab­né­ga­tion».

*Patrick Gérard, Conseiller d’État, di­rec­teur de l’ENA de­puis 2017.

Publication du 24/04/2019 - Le Figaro

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